Excellence Monsieur le Président,
Je m’appelle Grâce Israëlla Mambu Kangundu Ngyke, et je suis la troisième fille du couple journaliste Franck NGYKE KANGUNDU et de son épouse Mme Hélène MPAKA ignoblement assassinés dans la nuit du 02 au 03 novembre 2005 dans leur résidence familiale, sise quartier Mombele dans la commune de Limete; et cela, en présence de leurs enfants.
Cette lettre que je me permets de vous adresser, dix-neuf années après cette tragédie se veut non seulement un appel de détresse d’une orpheline qui veut avec ses frères et soeurs tourner une page sombre de sa vie mais surtout d’une chevalière de la plume, à l’image de son regretté géniteur et mentor de père, qui croit en la justice de son pays et à la reconnaissance par la patrie du sacrifice suprême de tous ces combattants de la démocratie qui n’avaient que l’information comme arme et qui croyaient avoir la loi comme bouclier.
Excellence Monsieur le Président,
Durant des années, le traumatisme de cette vision d’horreur a lourdement pesé sur la vie de mes frères et sœurs, sur ma vie.
Nos études ont été interrompues, notre avenir a été lourdement impacté tant physiquement que moralement…
Nous avions traversé cette période de colère, d’incertitude et d’insécurité sans aucun suivi médical, psychologique susceptible de nous aider à accepter cette nouvelle fatalité : « vivre du jour au lendemain sans parents »; pire dans cette peur perpétuelle de l’inconnu.
Des fois, il m’arrivait de penser que même si Franck NGYKE avait commis une faute, ne méritait-il pas d’être entendu, jugé ou arrêté plutôt que d’être tué avec notre maman de cette manière !
Comme tout jeune enfant que nous étions à l’époque, nos parents étaient notre défense, notre modèle, notre soutien que nous n’aurons plus jamais.
Face à l’intolérance et à la terreur de l’époque et après moults conseils de la famille, des proches, amis et surtout des collègues de mon regretté père, nous avions unanimement décidés de pleurer nos chers parents en gardant silence.
Pour ma part, j’ai en outre, décidé de reprendre le combat de mon père loyalement, pacifiquement avec le même objectif: » la liberté totale de la presse congolaise dans le contexte démocratique «
C’est là ou j’ai pu trouver ma consolation et une façon d’immortaliser le combat de mon père, mon héros.
Car « les morts ne sont pas morts tant qu’il y a des vivants pour penser à eux ».
Excellence Monsieur le Président,
Votre accession à la Magistrature Suprême, avec l’instauration de l’État de droit, est venu conforter davantage ma foi en une justice équitable à tous et surtout à la reconnaissance nationale de tous les journalistes ayant subi le même sort tragique que mes parents afin que la presse congolaise soit totalement définitivement libérée.
L’union faisant la force, nous avons fédéré nos efforts dans l’espoir d’une portée plus large de nos actions pour rendre audible cette « voix des sans voix ». Car tant nos objectifs que nos difficultés sont identiques.
Il est vrai qu’aujourd’hui tous ces orphelins et orphelines de la presse en l’occurrence les enfants et aussi les conjoints survivants, frères, sœurs de ces journalistes défunts, ces héros dans l’ombre de notre démocratie, ne trouvent ni la force, ni les moyens de faire appel aux procès aux jugements rendus à l’époque…
C’est pourquoi, en votre double qualité de démocrate et aussi de victime, pendant près de 35 ans de lutte contre l’intolérance politique et pour le triomphe de la démocratie, nous osons croire fermement que vous comprendrez mieux que quiconque notre préoccupation, notre souci et entendrez nos cris de cœur afin que justice soit enfin rendue.
Ce combat n’est pas seulement celui des enfants NGYKE, KABEYA, MAHESHE, NAMUJIMBO, BAPUWA, CHEBEYA, LUBALA, KAVULA, KOKO, KABUNGULU, MUSONIA, MAHAMBA, KISEMBO, MUMBERE, BALANGA, KUBANABANDU, KIKUKU, BELMONDE, MUTOMBO, MANZIKALA..mais celui de toute une génération de congolaises et congolais epris de paix et de liberté qui attendent avec espoir qu’on puisse lever le voile sur le cycle d’impunité dans le dossier des assassinats des journalistes congolais et la reconnaissance en martyrs de tous ces héros de la liberté de la presse locale. Ce serait une symbolique forte pour la démocratie congolaise en général et un grand signe de reconnaissance au quatrième pouvoir, rempart essentiel de la démocratie.
Ensemble c’est possible.
Avec respect et espoir.
Kinshasa, 31 Mai 2024
Grâce Israëlla Mambu Kangundu Ngyke.
Une orpheline héritière.